« Car nous marchons par la foi et non par la vue. (Babel 15:14) »
Lorsque Siegfried Hanfstaengl posa son gant de Sanrei sur son ami, le temps sembla s'arrêter. Et, à l'instar d'un songe dont l'amorce n'a jamais existé, les deux Quincy s'étaient retrouvés côte à côte, sur les hauteurs d'Urteil, sur la cime d'une des plus grandes tours de ce quartier privilégié. L'éternelle lune du Hueco Mundo crevait le ciel, au loin ; l'Engelritter, les bras placés derrière son dos, la dévorait du regard.
— Je suis content de te voir ici, Kain.
L'espion, démasqué, tourna son regard vers son homologue angélique pour lui offrir un sourire menu, mais sincère. Aussi longtemps Siegfried remontait dans sa mémoire, l'Halbgotter demeurait être d'une sagesse formidable. Il avait déjà eu l'occasion de fouiller dans ses souvenirs, plus jeune, accumulant de précieuses informations pour le compte de feu Alexius Ullrich. Mais jamais il n'avait eu la possibilité de modifier les briques élémentaires de la conscience de Kain Morgenstern depuis son Évangélisation.
— Avant toute chose, je dois t'avouer que nous sommes dans un souvenir. Tu ne sais pas encore ce qu'il va se passer, le septième jour du septième mois ; mais j'ose espérer que tu te rappelleras de cette discussion lorsque j'ôterais ma main de ton épaule. Kain... Je te remercie de t'être aussi bas de la Sainte pour rejoindre mon assemblée. Je sais que tes intentions ne sont pas qu'altruistes, mais tu es l'un des rares soldats du Kaiser qui ne suit pas aveuglément ses dogmes insensés. Sache que, malgré tes profondes convictions, les Engelritters te vouent une confiance sans pareille. Ils ne se doutent pas du libre-arbitre qui bouleverse ton quotidien, car je les ai assuré de ta fidélité absolue. S'il-te-plaît, en retour, fais un pas vers moi ; accepte les revendications de ton confrère, Sigurdr Hoenreich, qu'ensemble nous puissions impacter sur le destin d'Heilig. Car je ne saurais porter atteinte aux motivations qui t'animent.
Kain se demande l’espace d’une seconde, si Siegfried avait choisi ce souvenir volontairement, ou s’il s’agissait de son propre fait. Il n’avait pas remis les pieds à Urteil depuis cette fameuse nuit. Une vague d’émotion gagnèrent alors le Quincy à la peau d’ébène, un visage familier était remonté jusqu’à son esprit. Une réminiscence qu’il avait enfoui au plus profond de lui et que même le Parjure n’avait pu déceler lors de son premier examen. Peut-être par crainte des représailles…
« Tu connais mon passé Siegfried… j’ai rejoints votre cause avant même ta naissance ou celle de cette Chimère… peut-être même que mon existence elle-même est à l’origine de votre combat… »
L’Archange s’approcha de son interlocuteur et répondit chaleureusement à son sourire discret. On n’avait jamais vu une pareille sérénité sur son visage. Pourtant à l’intérieur de lui, le chaos régnait en maître. Le Quincy inspira profondément et joint ses mains derrière le dos.
« La véritable Histoire des Quincy ne se trouve pas dans les livres, elle a été oubliée, muselée. Mais moi je l’ai vécu et j’en porte le fardeau depuis 500 ans. Alors puisque tu comptes t’engager sur le même chemin que j’ai emprunté, voici un aperçu de ce qui t’attend. »
Il ignorait comment fonctionnait le potentiel de Siegfried, mais puisque les émotions le submergeaient, Kain se laissa graduellement envahir jusqu'à ce qu’un flot de souvenirs remontent dans son subconscient. Alors, le paysage changea autour d’eux, passant du désert du Hueco Mundo à la Soul Society pour revenir à Heilig en boucle et ce, de plus en plus vite. Un flash de lumière blanche envahit soudain la trame de la réalité puis ce fut l’obscurité la plus totale.
Lorsque l’Hanfstaengl retrouva le sens de la vue il reconnut immédiatement Urteil mais l’Halbgotter avait disparu. Un rapide coup d’œil lui fit comprendre qu’il ne se trouvait plus un simple spectateur de la mémoire de Kain, mais Kain lui-même.
Et il allait vivre la nuit la plus atroce de toute son existence.
« Que le sage écoute, et il augmentera son savoir ; et celui qui est intelligent acquerra de l'habileté.(Babel 15:19) »
L'image projetée de l'Engelritter se laissa porter par les rêves de son hôte. Ainsi, il voulait lui transmettra sa vie, telle qu'il l'avait vécu, à défaut des innombrables souvenirs que Siegfried Hanfstaengl avait pu contempler dans la mémoire de ses homologues, pensait l'Halbgotter. Mais allait-ce être une nouvelle expérience pour le Quincy ? Avant même sa rencontre avec Sigurdr Hoenreich, l'espion avait déjà émoussé la lame de son empathie. Et l'ascension vers un domaine de connaissances infinies, servies sur un plateau d'argent, avait achevé à jamais le cœur du jeune seigneur. De tous les êtres foulant le Hueco Mundo, Siegfried Hanfstaengl en était le plus grand historien. Les points de vue de bousculaient en lui, telles les rapides affolées d'un cours d'eau impétueux sur des roches soumises à l'érosion. Sa personnalité indemne recelait celle de milliers d'autres, sacrifiées pour un plus grand but.
Toutefois, il se prit au jeu, et s'imprégna du mieux qu'il pût les torrents de sensations jetées à son visage. Il se sentit pris en étau dans un esprit qu'il ne connaissait pas ; ressentait des choses dont il n'avait pas l'habitude de ressentir. Mais il comprenait. Il comprenait son homologue, déjà ; mais aussi la leçon qu'essayait de lui montrer l'Halbgotter. Car l'Engelritter assistait au massacre d'une révolte édifiée par les manigances de Kain Morgenstern en personne. Siegfried tombait-il des nues ? Pas le moins du monde. Tout cela, il l'avait déjà vu. Et bien d'autres choses encore. Son savoir ne se limitait pas à sa courte existence, mais à celle du Vandenreich, et ce depuis sa création. Et certains souvenirs démoniaques avaient également trouvé sa place dans un coin de son cerveau, après des rencontres fortuites, organisées par son guide flirtant avec la frontière des races. Le fils Hanfstaengl savait pertinemment ce qu'allait engendrer d'une telle rébellion. Il avait vécu les Deux Guerres d'une myriade de points de vue différents. Et pourtant... reprendre la Sainte était le seul moyen pour que le peuple élu survive.
Comment s'allier avec les frères déchus que l'élite de Heilig pourchassait, sinon ? Ces Hollows étaient tout autant aveuglés que leurs proies et chasseurs séculaires. Il fallait que tous ouvrent les yeux.
— Il y aura des pertes. Il y aura des massacres. Il y aura des horreurs. Mais c'est la seule issue pour que l'avenir ne soit pas vain. Car notre exil arrange certaines puissances...
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Kain Morgenstern
Dim 23 Juin - 15:44
* Je vois… *
La réaction de Siegfried était peut-être la plus sincère qu’il avait jamais eu en sa présence. Pendant qu’il vivait ses mémoires, Kain l’avait observé scrupuleusement pour déceler les failles et les faiblesses de sa psyché. L’Engelritter n’était même pas âgé d’un demi-siècle et en tant qu’espion il ne s’était peut-être jamais confronté à la guerre. Pour l’Halbgotter ce manque d’expérience était un sérieux problème qu’il ne pouvait ignorer. Rejoindre la révolte d’un fou qui ne connait rien du monde en dehors d’Heilig, était une aberration que seule une poignée d’hurluberlus tenteraient. Mais l’Hanfstaengl cachait bien son jeu. Cela faisait bien longtemps qu’il était devenu autre chose qu’un jeune Quincy en quête d’un idéal… l’Immaculé pouvait lire dans son regard, le fardeau d’une centaine d’Anges qu’il portait sur ses épaules.
Alors il comprit que ses souvenirs n’étaient qu’une goutte d’eau. Grâce à son gant de Sanrei, Siegfried avait vu l’océan. Et depuis, il était devenu bien plus qu’un idéaliste.
« Quand j’ai posé les yeux sur toi la première fois, jeune Hanfstaengl, je n’ai pas vu d’enfant, mais je ne voyais pas d’adulte non plus… ce n’est qu’aujourd’hui que je comprends que tu es bien plus que cela. »
Si Vorsehung était tout désigné pour prendre la tête de la rébellion au vu de sa puissance écrasante, il ne fallait certainement pas oublier qui avait tout orchestré jusqu’à aujourd’hui. Siegfried était l’Eminence Grise de cette révolte et il aurait été totalement stupide de l’ignorer. C’était pour cette raison qu’il portait un masque depuis le premier jour et qu’il était toujours resté en retrait jusqu’à maintenant.
C’était dans l’ombre que le véritable pouvoir de cet homme atteignait son paroxysme. Pour Kain, la marche à suivre était donc toute trouvée.
« Siegfried Hanfstaengl, je ferai de cette âme corrompue une arme au service de notre insurrection. Permets-moi d’accomplir ma vengeance et je t’offrirai l’utopie que tu aspires à créer pour les Quincy. »
Sur un ton solennel, l’Immaculé posa le poing droit sur son cœur et courba l’échine en marque de respect.
Ce salut militaire et cette déclaration d’allégeance était peut-être l’acte le plus sincère qu’il ait jamais fait durant ces trois derniers siècles. Mais au fond de lui, Kain ne regrettait rien car pour lui, Vorsehung et Siegfried lui rappelaient un homme qu’il avait toujours admiré, par-delà la mort. Pour cet homme, il aurait donné bien plus que sa vie misérable.
Tyr Hoenreich avait été le seul Kaiser digne de ce nom. Il avait malheureusement fallut attendre près de cinq siècles pour que ses dignes héritiers apparaissent.
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